LE FILS ET SON PÈRE
A travers une passionnante relecture de trois mythes célèbres : Dédale et Icare, Laïos et Oedipe, Abraham et Isaac – dont les personnages sont traités comme des cas cliniques -, Moussa Nabati étudie les liens inconscients et profonds tissés entre le fils et son père, ce qui les unit ou les divise, les rapproche ou les éloigne.
Qu’est-ce qu’être père aujourd’hui ? Comment accompagner son fils sur le chemin de la vie et l’aider à grandir ? Nul ne peut s’ériger en père s’il n’a été fils auparavant, au sein du triangle de son enfance. Le vrai père est celui qui, n’étant pas vampirisé intérieurement par les fantômes de son passé, réussit à occuper sa place d’adulte : en tant que géniteur, dans le respect de la différence générationnelle, sans rivalité et comme amant de sa femme, à l’abri des confusions d’identités et de fonctions.
Moussa NABATI
Contrairement à la relation mère-fille où les sentiments et émotions parviennent à être ressentis et ensuite à s’exprimer, parfois avec des larmes et des cris, le lien père-fils souffre à l’inverse d’un blocage, d’un silence, d’un refoulement émotionnel. Si les filles mettent des décennies, parfois sans y arriver, à prendre de la distance avec leur mère, les fils gaspillent des années, par contre, pour pouvoir se rapprocher de leur père et le rencontrer. Comment réussir dès lors à élever son fils ? Comment trouver et occuper sa place dans le triangle afin d’assumer dans la paix sa fonction d’éducation, d’accompagnement et de transmission ? La réussite de cette tâche, souvent difficile, est tributaire de trois séries de facteurs :
Un adulte serein
Il faudrait d’abord que le père soit devenu adulte, psychologiquement autonome. Cela ne lui est possible que s’il a été lui-même enfant et fils auparavant, s’il a été accueilli simplement et dans la gratuité du désir, aimé pour ce qu’il était, sainement materné et paterné. Sinon, il risquera de demeurer enfantin, immature, le restant de sa vie. Le père se montrera alors jaloux de son fils, comme s’il représentait un petit frère rival, accusé de monopoliser tout l’amour de sa femme/mère. Certains se montrent rejetants ou agressifs. D’autres, toujours en raison de leur infantilisme, se comportent comme une mère parfaite, « hors pair » avec le petit, jaloux de la vraie mère qu’ils cherchent à évacuer du triangle, de manière insidieuse.
Un mari aimé
Le père ne pourra, en second lieu, assumer sa mission que s’il est reconnu et aimé dans le cœur de sa compagne. La relation père-fils s’avère ainsi dès l’origine d’essence triangulaire. S’il n’existe point de vrai couple entre le père et la mère, c’est-à-dire si celle-ci n’aime pas son partenaire, ne se donne pas sexuellement à lui, le méprise, l’agresse et l’humilie, le lien entre les deux hommes risque d’en pâtir. Si elle est » trop mère » avec son fils, lui interdisant l’accès au père, caricaturalement possessive, étouffante ou phallique, ou si elle se montre « trop femme », insuffisamment maternelle, ce déséquilibre empêche évidemment le triangle et notamment le lien père-fils de fonctionner et de s’épanouir.
Un géniteur reconnu
Enfin, le père a besoin, pour mener à bien sa tâche, d’être aidé et investi par la culture, reconnu, et considéré par elle, dans sa fonction en tant que géniteur mais aussi par le don de son Nom, garant de filiation. Cela pourra ainsi l’aider à occuper une place moins glorieuse certes, mais plus légère, sans le besoin de maintenir la femme et l’enfant dans l’ombre.
Pour pouvoir trouver son chemin, ainsi qu’une place juste et saine dans le triangle, le père devra réunir ces trois facteurs. Sur le voilier de la vie, ils arrivent heureux à bord ou chavirent mais tous les trois ensemble !
Moussa Nabati est psychanalyste, thérapeute, chercheur et docteur en psychologie.