CONGÉ DEUIL APRÈS LA MORT D'UN ENFANT
TELERAMA
L’Assemblée Nationale adopte finalement le“congé de deuil” en cas de décès d’un enfant.
Olivier Milot
Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, à Paris, le 26 mai 2020, où a été adoptée définitivement la proposition de loi allongeant le congé deuil de cinq à quinze jours pour le décès d’un enfant.
Après le Sénat, l’Assemblée Nationale a adopté à l’unanimité et avec solennité la proposition de loi allongeant le congé deuil de cinq à quinze jours pour le décès d’un enfant. Une volte-face après un rejet en janvier qui avait fait polémique.
Mise à jour du 27/05 : C’est dans un hémicycle rempli et avec une émotion visible chez certains, que les députés ont adopté définitivement et à l’unanimité le 26 mai à 20h la proposition de loi portée par Guy Bricout, instaurant un « congé de deuil », en cas de décès de son enfant âgé de moins de vingt-cinq ans. « Cet texte est né dans le fracas, un fracas à la hauteur du drame que représente pour une famille la mort de son enfant, un fracas qui n’aura eu au final d’équivalent que la dignité des familles. Ces familles qui nous ont accompagnées depuis afin que la nation enfin les accompagne mieux », a résumé le secrétaire d’Etat, chargé de la protection de l’enfance. Ce texte co-construit avec les associations de deuil, bâti un système de protection sans équivalent avec ce qui existait. Cette loi n’épuise pas loin s’en faut toutes les questions liées au deuil d’un enfant; elle n’asséchera ni les larmes, ni la souffrance des parents; mais elle marque pour la première fois une prise en compte par la collectivité nationale du caractère unique de la mort d’un enfant, et manifeste la solidarité de tous à l’égard des parents endeuillés. Puisse cette parenthèse ne pas se refermer trop vite.
Combien de jours pour la mort d’un enfant ? Cinq, douze quinze ? « On ne peut apporter aucune réponse qui soit juste ou sensée. On ne doit cependant pas renoncer à trouver une réponse qui ne soit pas tout à fait indigne », écrit dans une tribune pour Le Monde le romancier Philippe Forest, auteur d’une œuvre littéraire magnifique qui, de L’Enfant éternel à Je reste roi de mes chagrins, ne cesse de creuser la question du deuil depuis la mort de sa fille Pauline au printemps 1996.
Le 30 janvier dernier, les députés de la majorité, suivant l’avis du gouvernement, avaient apporté une réponse indigne à cette question en rejetant une proposition de loi qui visait à porter de cinq à douze jours le « congé » accordé aux parents après la mort d’un enfant, au motif qu’il ne revenait pas aux entreprises de financer cet acte de solidarité. Face au tollé déclenché dans l’opinion par ce vote, le gouvernement a été contraint à une volte-face aussi gênée que spectaculaire en moins de quarante-huit heures, et s’est rapidement engagé dans une concertation avec les associations de deuil et les syndicats. Cette concertation a porté ces fruits et, un mois plus tard, c’est une proposition de loi de huit articles (et non un seul) enrichie et « habitée des propositions des associations » (dixit le secrétaire d’État à l’Enfance, Adrien Taquet), qui a été présentée au Sénat et votée à l’unanimité sous les applaudissements, ce mardi 3 mars.
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Virage complet
Sur la question du « congé de deuil » qui avait cristallisé la polémique, le virage est complet. Pour les salariés, le « congé employeur » passera de cinq à sept jours auquel s’ajoutera un « congé de répit » de huit jours financé par la branche famille de la Sécurité sociale. C’est donc un total de quinze jours ouvrés dont pourront bénéficier les parents qui ont perdu un enfant. Cette possibilité sera également offerte à toutes « les personnes qui assument la charge effective et permanente d’un enfant au moment de son décès », pour tenir compte des familles recomposées. Cette solidarité partagée entre les employeurs et la collectivité nationale envers les parents endeuillés reste ouverte aux salariés, comme l’avait prévu un amendement adopté à l’Assemblée nationale. Ils pourront en effet à l’avenir faire don de jours de RTT à des collègues en cas de décès de leur enfant.
Par souci d’équité, le « congé de deuil » est étendu aux travailleurs indépendants, aux agents publics et aux demandeurs d’emploi dans des modalités propres à chacun de leur statut. Il pourra être pris de façon fractionnée pendant une durée de un an. Autre changement majeur, il s’adresse aux parents qui ont perdu un enfant de moins de 25 ans et non plus de 18 ans comme le prévoyait la proposition de loi initiale. Les parlementaires tiennent ainsi compte du taux de mortalité élevé chez les 18-24 ans, notamment du fait des accidents de voiture et des suicides. Enfin, en cas de besoin, le « congé de deuil » pourra être prolongé à son terme par un arrêt maladie pris sans aucun jour de carence.
Une reconnaissance de la collectivité
Autre nouveauté, le texte ne s’arrête pas à la question du « congé de deuil » mais propose un éventail de mesures qui vont toutes dans le bon sens. Il prévoit ainsi le maintien des droits aux prestations familiales (allocations familiales, allocation de soutien familiale, allocation de rentrée scolaire, allocation d’éducation de l’enfant handicapé) pendant une durée de trois mois, alors qu’elles s’interrompent actuellement au bout d’un seul. Le texte inscrit également le maintien de la prise en compte de l’enfant au titre du droit au revenu de solidarité active (RSA) pendant un an. Il crée une prestation forfaitaire universelle pour couvrir les frais d’obsèques dont le montant n’est pas déterminé (on parle de 2000 euros) qui sera versé par les caisses d’allocations familiales. Il interdit enfin à toute entreprise de licencier un salarié pendant treize semaines après le décès. Une avancée toutefois beaucoup moins importante que celle envisagée par les députés LREM qui ont pris en main le projet à l’Assemblée et qui évoquent dans leur rapport une période de un an.
Enfin, la proposition de loi ouvre la possibilité d’un accompagnement psychologique à titre expérimental dont pourraient bénéficier les parent,s mais également les frères et sœurs endeuillés. Un pas en avant aussi bienvenu que timide. La prise en charge psychologique des endeuillés est une question de santé publique. Elle devrait être systématiquement proposée et intégralement financé par la Sécurité sociale pendant une durée donnée.
L’adoption de cette loi à l’unanimité par le Sénat répare l’énorme bévue commise à l’Assemblée nationale, et c’est tant mieux. Celle loi n’asséchera ni les larmes, ni la tragédie de vivre avec la mort de son enfant. Elle offre cependant une aide, un « répit » (le mot est bien choisi) aux parents, et marque symboliquement une reconnaissance de la collectivité nationale – et donc de tous – au caractère si particulier de ce deuil contre nature. Et ce n’est pas rien.
(1) Le Monde du 1er mars 2020
Olivier Milot, journaliste à Télérama, est membre de l’association Apprivoiser l’absence.